Clair venait de descendre du train, et déjà une foule de nouvelles sensations la parcouraient. Elle était entourée d'êtres étranges, sans visage. Assez effrayants, ils n'avaient pas l'air hostile. Elle m'avança parmi tout ce monde, prenant garde à ne pas trop forcer sur sa cheville. Décidant que c'était le moyen le plus sûr de ne pas le perdre, elle accrochait le médaillon rougeoyant autour de mon cou. Pour l'instant, seul l'étrange homme qui lui avait remis semblait humain. Ce monde n'était-il peuplé que de créatures sans vie ? Pourquoi avait-elle atterri ici ? Elle commençait à se demander si l'aventure qu'elle vivait était bien réelle. Mais toutes ces sensations étaient si réalistes, elle était sûre de la véracité de ce monde.
Absorbée dans ses pensées, elle se laissa guider par le hasard. Un son de cloches la tira de ses rêveries. Elle était face à une tour haute, d'un style ancien mais assez charmant, qui servait visiblement de clocher. N'ayant rien de précis à faire, Clair entra par une petite porte pour visiter l'étrange bâtiment. Devant la jeune femme se dessina un grand escalier en pierre, aux marches longues et basses. Sans attendre, elle releva sa robe et commença à monter, faisant claquer ses talons sur le sol froid. D'ici, elle entendait un cliquetis régulier et mécanique, sûrement celui qui faisait fonctionner la grande horloge. Quelle était la hauteur de cette tour ? Elle n'aurait su le dire. Mais elle savait que, depuis le sommet, elle pourrait savoir dans quel endroit elle se trouvait. Après tout, vu le nombre de marches qu'elle avait parcouru et qu'il lui restait à parcourir, ce n'était pas le plus petit des édifices.
Une fois arrivée au plus haut palier, elle chuta à terre et entreprit de récupérer un souffle ordinaire. Quelle montée éreintante ! Et dire qu'après, il lui faudrait redescendre... Mais au lieu de perdre si rapidement son courage, elle se releva et examina les lieux. Au-dessus d'elle, des cloches destinée à sonner les heures. A sa droite, un mécanisme bien complexe et grinçant faisant bouger les aiguilles de l'horloge. Et à sa gauche... C'était encore une de ces bêtes sans visage, ou un véritable être humain ? Elle n'avait croisé personne en montant, il se trouvait là depuis longtemps ? Ou y'avait-il un autre moyen de monter ? En tout cas, il pourrait sûrement lui en dire plus sûr cet étrange pays. Timidement, elle s'approcha de cet homme et, toussant pour s'éclaircir la voix, entama la conversation.

- Excusez-moi de vous déranger, savez-vous ou nous sommes ?

Clair craignit d'abord d'avoir été trop directe mais l'inconnu ne semblait pas vexé. Alors qu'il prenait un court temps de réflexion pour répondre, elle en profita pour le détailler. Un physique relativement banal. Il ne se distinguait, du point de vue de Clair, que part ses cheveux blancs. elle aurait aimé y passer la main pour vérifier leur texture, ce qu'elle aurait fait volontiers si elle connaissait cet homme depuis plus d'une heure. Ses yeux aussi, intriguaient Clair. Et le sourire qui apparut sur ses lèvres. Elle rougit un peu et se prépara à lancer une brève excuse pour ensuite s'enfuir en courant au risque de déraper sur une des trop nombreuses marches de l'escalier. Mais, avant qu'elle ne mette ses projets à exécution, l'inconnu répondit.

- Désolé. Je n'en sais probablement pas plus que vous. Je présume que vous venez d'arriver ici ?

Alors qu'il s'avançait, elle frissonna. Pas à cause du froid qui régnait dans ce vieil édifice, mais bien parce que cette personne était aussi perdu qu'elle. Elle ne pouvait donc pas repartir. quoique, le plus astucieux aurait été de revenir à la gare et de chercher à reprendre le train en sens inverse. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt, c'était tellement évident ! Mais alors, pourquoi ce jeune homme n'était pas parti lui aussi ? Apparemment, il se trouvait là depuis plus de temps qu'elle et cette idée n'avait pas germé dans son esprit ? Trop de questions tournaient dans sa tête à lui en faire mal. Celle qui revenait sans cesse était "Où suis-je ?", car personne ne semblait le savoir. Les êtres sans visages ne pouvaient pas parler, mais elle n'avait pas pensé à leur demander d'écrire. Seulement, ils n'avaient ni yeux ni oreilles, cela ne servirait à rien sinon lui faire perdre son temps. Et puis, elle était venue ici avec un billet qui était encore dans sa poche, comment se procurer celui du retour ? Cependant, avait-elle réellement envie de repartir ? Ce monde était tellement beau, tellement riche... Même s'il lui était inconnu, elle se ferait un plaisir de le découvrir. Mais ses parents, et Caligula, ils devaient s'inquiéter. Oui, elle devait rentrer au plus vite. Dernière chose qui la tracassait, c'était ce pendentif rouge. Il avait l'air précieux. On le lui avait remis pour qu'elle gagne de l'argent en le vendant et se débrouille dans cette grande ville ? Non, il y avait sûrement un hôtel ou un bâtiment de ce genre pour recevoir et conseiller les nouveaux arrivants. Seulement, pouvait-elle communiquer avec ces non-êtres qui peuplait l'extérieur ? Cet homme et celui de la gare étaient les seuls humains qu'elle avait vu, il y en avait donc sûrement d'autres.
Elle réalisa soudain qu'elle s'était tue depuis une dizaine de minutes et que l'autre devait attendre sa réponse. Elle recula un peu, histoire de pouvoir se défendre s'il lui voulait du mal, et chercha au fin fond de son esprit quelque chose à répondre.

- En effet, je suis ici depuis quelques heures à peine... Et, euh... Vous ? Je veux dire, vous vivez ici ? Et, y'a-t-il d'autres humains ? Vous avez déjà essayer de partir d'ici ? Oh, excusez-moi...

Toute confuse de s'être laissée emporter par sa curiosité, elle releva ses jupes et exécuta une courbette parfaite. Après quoi elle se releva, le rose aux joues. Elle aurait sauté dans le premier trou de souris venu si la suite de son aventure n'avait pas dépendu de la réponse du jeune homme. Comment s'appelait-il d'ailleurs ?

Il se recule, laissant Clair culpabiliser. Pensait-il qu'elle était une dévergondée qui cherche à tout savoir d'une personne. Une harceleuse, une "stalkeuse" ? Ce n'était pas son genre, loin de là. Mais ce lieu était si bizarre, à la fois froid et accueillant... Elle ne se sentait pas comme appartenant à ce monde. Reliée au cosmos. Elle venait d'un autre endroit, lointain, différent. Elle n'était pas ici elle n'avait rien à y faire. Du moins, c'étaot ce qu'elle croyait. Mais tout était si beau, si irréelle, elle aurait bien voulu rester... Le grincement des lattes de parquet lui fit reprendre conscience de la situation. L'homme s'était mis à marcher, perplexe.

- Je ne suis pas là depuis très longtemps non plus, à dire vrai. Je suis arrivé ici mystérieusement... Probablement comme vous, en fait. J'ai rencontré une autre humaine. Nous sommes donc au moins trois. Il y a par ailleurs, d'autres personnes qui ressemblent à des humains mais qui ont un air... différent. Ils sont très nombreux à l'hôtel. Vous n'y avez pas été ?

Une humaine ? Avec l'homme de la gare, cela faisait quatre. Il devait alors y'en avoir d'autre. C'était plus que probable, puisqu'il était arrivé de la même manière qu'elle. Ces non-êtres, elle les connaissait. Effrayants, elle se posait beaucoup de questions à leur égard. Mais le moment d'y penser n'était pas venu. Quant à l'hôtel, cela la rassurait de savoir qu'il existait vraiment. Elle s'était d'abord dit que quelque chose l'attendait pour garder espoir. L'autre s'arrêta de marcher, rompant une fois de plus le fil des pensées de Clair. Il prit un air mélodramatique avant de poursuivre.

- Je n'ai pas tenté de partir... En fait, cette idée ne m'est même pas venue à l'esprit, je... J'ai immédiatement supposé que je ne pouvais pas partir, ou peut-être, que je ne devais pas.

Tandis qu'il parlait, Clair sortit discrètement son carnet et y inscrivit quelques mots avant de le refermer brutalement et de le remettre à sa place. Cependant, voyant qu'il préférait aller à la fenêtre plutôt que de rester face à elle, elle reprit son ouvrage et continua de couvrir les pages avec cette écriture italique et fine qui était la sienne. Lorsqu'il lui adressa encore une fois la parole, elle sursauta et fit tomber son cahier à terre, qui s'étala dans un bruit mât. Elle le ramassa avec embarra et se tourna vers lui. Il avait quitté son air triste pour revêtir un charmant sourire.

- Mais, dites-moi, quelle est votre nom, mademoiselle ?

Clair lui rendit son sourire et se redressa pour prendre un peu de hauteur.

- Je suis Clair Peccatrice, Pé-ca-tri-tché. Et vous ?

- Je suis Lucius Aster, ravi de vous rencontrer.

Lucius. Aster. Clair ouvrit encore une fois son carnet pour y inscrire le nom, ainsi que deux annotations, puis le ranger définitivement. Rien ne pouvait l'empêcher d'écrire après tout. Bref, le moment était venu pour un point sur la situation.
Elle s'appelait Clair Peccatrice, elle était arrivé de cet autre monde, tout du moins endroit louche, ce matin même. Elle avait emprunté un train. Le billet nécessaire au trajet, elle l'avait trouvé dans ses rêves. Dans ce pays, les humains étaient très rares mais ils existaient. Ils étaient tous arrivés par le train. Les habitants de ce pays étaient des patins avec qui on ne pouvait pas communiquer. Ce jeune homme, Lucius As.. Aster, cherchait la raison de sa présence ici, tout comme elle.

- Enfin, je ne sais pas si c'est le meilleur moment pour de telles présentations, vous cherchez un moyen de rentrer chez vous, n'est-ce pas ?

Un moyen de rentrer... Clair voulait prévenir sa famille mais, en vérité, elle se plaisait bien ici. Il y avait sûrement une plage quelque part, puisqu'elle était arrivée par la mer. Alors, elle n'avait besoin de rien d'autre. Une plage, un couché de soleil, des couleurs, elle se laissa replonger dans ses souvenirs d'enfance. Cela devait faire trois mois qu'elle n'avait pas pu fouler les grains de sable chaud qui s'aventurent partout sur votre peau et qui reste accrochés à vos cheveux pendant une éternité. qu'elle n'avait pas senti l'air salé lui fouetter le visage. Elle rouvrit les yeux, sans s'être rendu compte qu'elle les avait fermé. Lucius attendait sûrement une réponse ? Elle faillit sursauter encore une fois quand elle vit qu'il s'était approché. Cependant, elle ne bougea pas, n'esquissant qu'un mince sourire.

- Est-ce que vous comptez retourner à la gare ?

- Et bien, je me le demande. Rien ne m'oblige à revenir dans le "vrai" monde... Et je me plais bien ici, même si je n'y suis pas là depuis bien longtemps. Cependant, si je comptais rentrer à un moment ou un autre, j'essayerais en effet de trouver un train faisant le chemin inverse. Vous avez dit qu'une sorte de force mystique semblait vous retenir ici... Vous souhaitez vraiment partir ?

Clair avait dit ça sans savoir pourquoi. Non, elle ne voulait pas rester, des personnes importantes pour son coeur l'attendaient loin. Mais d'un autre côté, rester n'avait pas l'air si terrible... Rester, rentrer, rester, rentrer...

L'air ferme et décidé de Lucius fit perdre contenance à Clair. Elle se traita intérieurement de tout les noms pour avoir penser à rester ici. Comment aurait-elle pu abandonner sa famille ? Et surtout, pourquoi ressentait-elle ce besoin de rester, cette sensation de bien-être et de paix intérieur ? Comment, dans un situation si compliquée, elle pouvait être heureuse ? Méchante petite fille va !

- Je ne me sens pas retenu ici. Simplement, je n'avais pas imaginé qu'il puisse y avoir un moyen aussi simple de rentrer. En réalité, je devrais partir. Je ne peux pas me permettre de rester ici.

Oui, elle n'était encore qu'une petite fille dans sa tête. elle avait assez d'argent pour ne jamais travailler et de même pour ses enfants et ses petits enfants. Mais lui, il avait sûrement des obligations d'adulte. a en juger par son physique, il devait être un jeune adulte qui commençait dans la vie, et il devait avoir une famille à nourrir, ou tout du moins un rôle important. Si elle pouvait éventuellement rester ici, lui ne pouvait même pas embrasser cette idée.
Il se mit à regarder la jeune fille, le visage crispé. L’horripilait-elle tant que cela ? Non, il devait y avoir une autre explication plus rationnelle. Il finit par cacher une partie de son visage avec sa main. Clair en profita pour le fixer une fois de plus. Elle avait bien envie de passer une main dans ses cheveux, ils avaient l'air si doux et lisses, bien propre et tout comme il faut. Elle s'avança et allait lever le bras quand il reprit la parole.

- Non... A vrai dire... Pensez-vous même seulement que ce monde soit réel ? De ce ciel d'été au bleu si intense à cette tour aux engrenages rutilants, pouvez-vous vraiment croire que c'est la réalité ? Que de telles choses existent ? Vous même... êtes-vous plus qu'un simple fantôme ?

Clair rougit un peu et toussota. Selon elle, la réalité se définissait à partir de ce que percevait ses sens. Si elle sentait ce qu'elle touchait et qu'elle pouvait le toucher une deuxième fois, alors ceci était réel. Mais il n'en était sûrement pas de même pour un adulte, qui devait avoir une pensée plus scientifique. Après tout, elle savait qu'il était aisé de tromper les sens d'un humain. Serait-elle sous l'emprise d'une quelconque substance illicite ou déconseillée ? Elle se sentait en plein possession de ses moyens, se dit-elle en ouvrant et fermant sa main. Elle eu soudain une idée.
Elle s'approcha de Lucius et leva pour lui caresser le haut de la tête. Ses cheveux était en effet doux comme un nuage ! Enfin, elle n'avait jamais touché de nuage, et elle savait bien que ce n'était que de l'eau donc la comparaison "tombait à l'eau". Disons, doux comme de la peluche ? Cela correspondait mieux, en effet. Elle arrêta, sachant à quel point se faire caresser la tête par une personne plus petite était dégradant, et lui offrit un gentil sourire. Elle ne faisait que sourire et rougir depuis qu'elle l'avait vu, il devait la prendre pour une pimbêche ou pire...

- Voyez, vous avez sentis que je vous ai touché, et moi aussi, alors nous existons tout les deux. Je sais que cette preuve ne vous suffira sûrement pas, mais c'est ainsi que je perçois les choses. Si nous sommes envoyé dans une sorte d'Eden aussi paradisiaque, nous ne devrions pas en partir. Sauf si, bien sûr, une vie dépend de vous et de votre retour auprès d'elle...

Clair avait parlé aussi bien au jeune homme qu'à elle même. Elle allait prendre une décision. Maintenant; Il fallait qu'elle choisisse, son doute ne devait persister plus longtemps.

- Je pense... J'aimerais rester dans ce monde féerique, y faire ma vie. Les gens du monde d'où je viens seront tristes, mais ils pourront me croire noyée, ou disparue, et ainsi il leur suffirait de faire le deuil. Je ne suis pas indispensable, je n'ai pas la prétention de le croire, aussi je préfère rester ici, que ce ne soit qu'une illusion ou bien une réalité.

Clair guettait avec appréhension la réaction de Lucius. Elle était de moins en moins sûre de ce qu'elle venait de dire. Il allait cassé sa pensée d'un revers de main et la faire revenir dans le droit chemin, c'était obligé. Il était plus grand, il savait comment convaincre les enfants perdus de rentrer à la maison.

- Je ne resterai pas ici. Cet endroit ne m'inspire pas confiance. Et puis, j'ai des choses à faire dans la réalité, voyez-vous. Des choses importantes. Je dois donc quitter cet endroit rapidement. Rester ici ne me ferait aucun bien. Ce lieu est... dangereux.

Dangereux ? Il n'avait pas l'air d'être là depuis longtemps, comment pouvait-il en juger ? Mais dans un sens, il avait raison. Si des choses importantes l'attendaient, il était obligé de rentrer. Des obligations que Clair n'avait pas. Une passa avant que Lucius ne continue.

- Je n'essayerai pas de vous convaincre, c'est à vous et à vous seule de choisir votre destinée. Mais, à moins d'avoir une existence abominable, je ne comprends pas comment on pourrait accepter de renoncer à tout ce que l'on a aussi simplement.

Une existence abominable ? Loin de là. Renoncer à tout ce qu'elle avait ? Elle n'avait rien. L'argent de ses parents, l'amitié de Caligula, le savoir de ses professeurs... La seule chose qui appartenait vraiment à Clair, c'était elle-même. Son imagination, ses souvenirs, ses peur et ses passions, ses qualités et ses défauts. Des choses que l'on emporte partout avec soi, que l'on traîne ou que l'on emmène volontiers. Et Clair n'avait besoin que de ça et d'un coucher de soleil au bord de la mer pour aimer un monde, pour y vivre et y mourir. Elle serra le poing et croisa le regard du jeune homme.

- L'unique chose qui m'appartient vraiment, c'est moi. Aussi, je vais rester dans ce monde. Vous devez sûrement me prendre pour une dégénérée, mais je ne me suis jamais autant amusée que depuis ma venue ici ! Une vie trop parfaite est ennuyeuse. Cependant, j'ai beau rester, je serais heureuse de vous aider à rentrer.

Clair soupira et s'adossa au mur. Si Lucius acceptait son aide, elle le suivrait jusqu'à ce qu'il puisse rentrer. Si non, elle irait découvrir le reste de cette ville et peut-être même de ce monde !

Le jeune homme n'avait décidément par l'air de la comprendre. Tant pis, sa décision était la sienne, celle de Lucius était une autre. Cependant, c'était la première véritable décision qu'elle prenait de sa vie et elle se sentit grandie par ce choix.
Cependant, Lucius prenait une moue quelque peut vexée. Est-ce à cause de sa décision ? Si c'était le cas, il était bien intolérant. Ou bien peut-être était-ce sa question ? Mais qu'y avait-il de vexant à se faire accompagner ? Personnellement, Clair aurait tout fait pour ne pas rester toute seule dans cet entourage de pantins sans vie. Mais là n'était pas la question. Il était aussi possible qu'il repense un moment désagréable de sa vie non ?
Finalement arrivé au bout de sa pensée, Lucius baissa la tête et se crispa. Clair espérait de tout coeur qu'elle ne l'avait pas mis en colère. Mais ce fut en la regardant qu'il se remit à parler.

- C'est très aimable, merci. Cependant, ce ne sera pas nécessaire. Je vais retourner à l'arrêt de train, en espérant trouver là un moyen de rentrer chez moi.

Le sourire plaqué sur le visage, il repartit dans ses pensées. Lentement, il se mit à trembler, essaya de faire quelques pas chancelants en arrière pour s'arrêter. Ses forces semblaient le quitter peu à peu, et Clair s'approcha de lui. Discrètement, elle sortit son carnet et y nota encore quelques petites choses, puis le rangea hâtivement et reporta son attention sur l'homme en face d'elle.

- Tout va bien. La chaleur m'est probablement un peu montée à la tête. J'irai mieux... dans un instant.

On aurait dit une personne victime d'un poison lent, d'après ce qu'avais lu Clair. Il essaya tant bien que mal de s'appuyer au mur mais s'effondra de toute sa hauteur. Clair courut s'accroupir à ses pieds et lui tamponna le front avec sa manche.

- Lucius ? Ce n'est pas grave d'accord ? Essayez de vous calmer, ça va passer...

Elle parlait sans trop être sûre de ce qu'elle avançait. Et s'il souffrait d'une grave maladie ? Et s'il avait vraiment été empoisonné ? Elle n'en savait rien. elle ne savait rien de lui. Si ce n'est que, même s'il refusait de se l'avouer, il avait besoin d'aide.

Il ferma les yeux et une teinte légèrement rosée remplaça la pâleur normale de ses joues. Clair ne voyait pourquoi il se sentait honteux -un moment de faiblesse arrivait même aux meilleurs- mais elle n'était pas au bout de ses surprises. Gêne, vexation, fatigue, peur, doute, un éventail d'émotions passait sur le visage de Lucius. Ne sachant trop comment réagir, la jeune fille se contenta de la regarder, laissant son esprit vagabonder.
Quand était-on, à l'endroit qu'elle avait quitté ? Peut-être cela faisait-il plusieurs jours qu'elle était ici, elle n'en savait rien. Dans ce monde, le soleil ne s'était encore jamais couché, et l'horloge n'avait sonné qu'une seule fois. Mais le temps pouvait être distordu dans cette dimension. Puisque tout semblait différent, pourquoi pas l'écoulement du temps ? Il était aussi possible que les patins -et les rares humains- vivant ici ne comptait le temps de la même façon que les habitants de son monde. Et quand bien même une seconde vaudrait le même temps, qui disait qu'il calculait en base soixante ? Oui, il y avait peu de chances pour que cela ne fasse que quelques heures que Clair était ici...
Soudainement, quelque chose frappa Clair, sans toutefois lui faire mal, mais le choc associer à sa surprise failli la renverser en arrière, derrière à terre. Heureusement, elle posa ses paumes sur le sol et pu rester plus ou moins droite, en araignée. Dans cette position, avec sa robe légèrement remontée et ses bottines à lacets, elle pensait avoir l'air d'une vendeuse de charmes, mais il n'en était rien. Cependant, la simple idée, de paraître ainsi devant Lucius la fit violemment rougir.

- Ça ira, merci. Comme je l'ai dit, la chaleur m'est un peu montée à la tête. Il n'est pas nécessaire de vous inquiéter pour moi.

Ouf, il n'avait pas remarqué la mauvaise tenue de Clair. Celle-ci soupira de contentement, discrètement. Qui plus est, Lucius était redevenu l'homme sûr d e lui et vaguement froid qu'elle avait rencontré tout à l'heure. Elle se laissa tomber sur dos pour ensuite redresser son buste, gardant ses mollets collés au sol.

- J'imagine que, puisque vous compter rester ici, je vais prendre le chemin des quais, et voir si je peux prendre le train dans l'autre sens.
- Et bien, j'aimerais bien vous accompagner. Je ne compte pas rester longtemps dans cette ville pleine de patins, puis il n'y a pas la mer ici. Si je vais à la gare avec vous, je pourrais voir s'il des trains circulent dans le reste de ce monde. Mais j'aimerais tout de même voir d'autres parties de cette ville... Enfin, me laissez-vous l'honneur de vous accompagner ?

- D'accord.

Et bien, quelle distance ! Les propos de Lucius semblaient froids, mais Clair fit passer cela pour un simple manque d'énergie. L'accompagner n'était pas une idée si horrible, non ? Il suffisait d'avoir des yeux pour remarquer qu'il était mille fois plus motivé qu'un bambin devant ses choux de Bruxelles. La simple pensée de ces légumes maléfique au fumet si dégouttant fit froncer les sourcils de Clair. Beurk beurk beurk ! Pour un peu, elle en aurait tiré la langue. Mais comment réagirait Lucius si elle agissait ainsi en sa présence ? Très mal sûrement. Il allait la prendre pour une petite fille... Ce qu'elle était, somme toute.
Parlant du jeune homme, il regardait sa montre d'un air perplexe. Clair en profita pour y jeter un coup d'oeil. Huit heures ? Elle allait devoir trouver de la nourriture rapidement si elle ne voulait pas finir affamée en se couchant. Repensant aux atroces choux verts, elle secoua la tête. Plutôt mourir que de manger à nouveau ces horreurs ! Non, ce qui lui ferait vraiment serait... Un plat d'hiver très gras, consistant et goûtu. Une raclette, un fondue... Non, plutôt avec de la viande. Et une salade de fruit en dessert. Se serait tellement agréable...
Clair ravala sa salive. Lucius se levait, sûrement décidé à partir. Il se dirigeait vers les marches. La jeune femme le rejoignit. elle aurait bien aimait essayer l’ascenseur, mais elle réservait cela à plus tard. Elle sorti son carnet et y marqua cette envie sur un coin de page. Elle oubliait trop souvent les choses qui attiraient sa curiosité et restait insatisfaite. Un jour, se promit-elle, elle prendrait cet ascenseur. Dut-elle en perdre la vie.
Instinctivement, elle passa devant Lucius et commença à descendre les marches, solidement accrochée à la rampe. Ayant vu le nombre incalculable de marches en montant, elle préférait les faire à pieds et non sur le dos. Sans se retourner, elle fit par d'une de ses idées au jeune homme.

- Dîtes, il se fait tard non ? Je suis fatiguée et j'ai faim... Serait-il possible de reporter notre aventure à demain, histoire de reprendre des forces ?

Pas une seule seconde elle n'avait pensé qu'elle pourrait être un poids pour lui. Mais maintenant qu'elle avait énoncer clairement sa pensée, elle se rendait que cela contrecarrait sûrement les plans de son acolyte. Tant pis, il était trop tard pour ravaler sa parole.