Lucius n'est pas de ceux qui se distinguent par sa carrure. C'est un jeune homme de taille moyenne, assez frêle. Il ferait pâle figure face à de nombreux autres individus. Seule sa stature élancée, d'ailleurs, lui donne une quelconque présence face à une femme, qui serait encore capable d'être plus musclée que lui.

Sa chevelure trop claire encadre finement son visage pâle, légèrement rosé au niveau des pommettes et glisse presque jusqu'à ses épaules. Ses yeux, fins et bordés de cils épais ont la couleur du ciel d'été. Ces iris semblent la plupart du temps emplis de sérénité et de plaisir, quoique ceux-ci ne soient bien souvent que mensonges. Souvent vu, d'ailleurs, avec un sourire aux lèvres, Lucius donne l'apparence d'une personne charismatique mais peu accessible. Lorsqu'il travaille ou lit, des lunettes sombres viennent encadrer son regard, le vieillissant certainement de quelques années.

Peut-être, justement, est-ce en cela que le jeune homme se distingue de la masse ? Il n'est certes pas très large ou imposant, mais ses airs élégants attirent l’œil. Influence de son éducation ou traits naturels ? Difficile à dire, mais il est certain que ses beaux habits, ses expressions aristocratiques et même ses cheveux qui, tout en ayant des mèches tout à fait irrégulières, donnent l'impression d'être coiffés exactement comme il faut, lui confèrent une aura particulière. Il dégage une certaine assurance, ce qui est pourtant tout à fait contraire à ce qu'il ressent réellement, ainsi qu'un raffinement dû à sa classe sociale, qui se devine sans doute assez facilement.

Lucius est un jeune homme bien élevé qui a appris la tempérance. Il est très rare de le voir perdre son sang-froid et il semble toujours assez flegmatique. Courtois, il sait se conduire en public et ne pas s'attirer trop facilement la colère des autres.

Pourtant, de l'autre côté de son sourire chaleureux, se cache un homme bien moins agréable. Un être complexé qui passe son temps à chercher des défauts aux autres pour tenter de se mettre en valeur. Quelqu'un qui, trop souvent, se retrouve à mentir sur ce qu'il pense réellement. Quelqu'un qui tente tant bien que mal de se trouver de la valeur sans vraiment y parvenir et qui essaye de se forcer à se voir comme meilleur que les autres.

Oscillant entre le bien et le mal, Lucius ne parvient à se décider entre manipulation et isolement. De manière générale, d'ailleurs, c'est une personne qui semble ne jamais savoir ce qu'elle désire vraiment, préférant toujours éviter les questions trop importantes. Pourtant, il aime les choses bien faites, c'est certain, et ne supporte pas la médiocrité. Peut-être d'ailleurs est-ce ce perfectionnisme qui le hante tellement et le fait souffrir lorsqu'il se voit lui-même loin de son idéal ?

Il n'est pas de ceux qui parlent pour ne rien dire. Il pèse ses mots et les choisit avec soin pour s'assurer de ne pas s'attirer d'ennuis. De nature prudente, il n'agit que très rarement par impulsion et peut passer de très longs moments à réfléchir à ce qu'il va faire, en accord avec sa nature hésitante.

Sans doute n'a-t-il pas un mauvais fond... Mais sa manière égoïste de se comporter fait de lui une personne peu fiable. Sans vouloir faire du mal aux autres, il se retrouve quand même à les utiliser pour parvenir à ses fins et ne prends sans doute pas toujours conscience de l'ampleur que ses actions pourraient avoir sur les autres.

Les paroles innocentes de l'homme souriant de l'autre côté de l'écran de télévision restèrent un instant suspendues dans l'air froid de la pièce avant que Lucius n'appuie sur le bouton de la télécommande, commandant à l'appareil de s'éteindre et de laisser place au silence. Voir une telle vérité éclater au grand jour était un échec amer, de ceux qui vous laissent un arrière-goût de colère.
Il y a des vérités que l'on ne désire pas entendre, même si l'on en a conscience depuis toujours. Et celle-ci faisait partie de cette catégorie.

Il faudrait probablement être un idiot pour ne pas remarquer que Lucius avait toujours été le moins bon de la famille. Peut-être parce qu'il était le dernier, peut-être parce qu'il était tout simplement moins bien. Difficile à dire.
Oh, il n'avait jamais été malaimé pour cela. Il ne pouvait pas se plaindre de ses relations familiales, bien qu'elles fussent assez tendues par moment, mais jamais ses parents n'avaient caché leur déception.

Titus, Ophélia et Hadrien avaient tous, chacun à leur tour, démontré un talent et trouvé une vocation qui les mèneraient loin. Et cela, même, dès un âge assez jeune. Mais pas Lucius. Et le temps passant, les espoirs bouillonnants de Néron et Victoria s'étaient éteints.

Lucius lui-même, face à ses parents débordant de puissance et à son excellente fratrie avait vite ressenti son infériorité. Il avait alors tenté de chercher, d'aider le destin à faire de lui celui que ses parents attendent et qui ne vient jamais. Comme espérant que Lucius parte un matin à l'école mais que celui qui revienne soit un autre enfant. C'était ce qu'il voulait. Changer.
Mais il resta pourtant le même garçon, incapable de savoir ce qu'il veut et médiocre en toute chose.

Il cessa alors de passer ses journées à chercher son destin et décida que, s'il ne pouvait être qu'un être inférieur à la maison, il pourrait au moins essayer d'être le meilleur en dehors. Ainsi, d'une manière assez ridicule, le jeune garçon rassembla autour de lui une bande d'«amis» qui le mettrait en valeur. Plus bête, moins beau, nul en math, ... Chacun se trouvait être un faire-valoir qui lui permis, après toutes ses années de se trouver de la valeur tandis qu'aucun de ses camarades de sembla comprendre ce qui se passait vraiment. Cela continua pendant des années, son cercle changeant fréquemment tout en restant, au fond, le même.

Ce n'est pas Lucius qui décida les études qu'il ferait. Mais c'était à prévoir. S'il avait eu une idée exploitable – mais n'ayant pas déjà été prise par un de ces ainés – il aurait pu faire entendre son avis. Certainement, s'il avait voulu devenir pompier ou instituteur, la réponse aurait été un nom ferme.
Le jeune homme n'ayant cependant aucune idée de ce qu'il désirait faire, le problème fut résolu lorsque Néron décida qu'il se lancerait dans la politique.

Ni lui ni sa femme ne pensaient que Lucius excellerait dans ce domaine, mais il paraissait pouvoir se débrouiller et, ainsi, leur fils cadet se lança lui aussi dans des études.

Le plus vexant dans tout cela n'était sans doute pas le fait même d'être le moins bon. C'était plutôt l'idée même que ses parents s’attendaient plus rien de lui. Pendant longtemps, un mince espoir avait subsisté en eux, mais Lucius le savait disparu depuis longtemps. Oui, le pire dans tout cela, c'était de savoir que toute la famille était à présent persuadée que le petit dernier resterait différent d'eux.

Et ainsi, un ancien désir refit surface. Il leur montrerait.
Il réussirait ses études et deviendrait effectivement un homme politique. Il dirigerait peut-être la ville. Puis le pays, bien sûr. Ou peut-être pourrait-il avoir un poste au niveau de l'union européenne ? Mais il ne s'arrêterait pas là. Il lui faudrait plus que cela.
Plus. Plus. Encore plus jusqu'à ce qu'il ait tout.
Et là, il leur montrerait.