passé
« Par pitié, non !Je vous en supplie !NON !!! »
Mais je n'écoutais pas. Je n'écoutais plus depuis longtemps ces cris de supplication. Ils avaient qu'à y penser avant. Pourquoi n'auraient-ils pas le droit de souffrir comme ils ont fait souffrir hein ?Ce monde était injuste. Mais moi, j'allais le changer. J'allais leur faire comprendre ce qu'est la souffrance, à tous ceux qui se croient hors d'atteinte.
J'essuie le couteau sur ma jupe et me relève. Je n'ai pas touché le corps, il n'y a aucune trace de moi dans les alentours. Mais je devrais quand même changer de ville, au cas où il y aurait eu des témoins imprévus. Je rangeais mon couteau dans mon sac, rabattis ma capuche sur ma tête et je me mis à courir vers les toilettes les plus proches. Elle allait bientôt revenir à elle et découvrir le nouveau crime qu'elle a commis. Je souris malicieusement alors que je l'imaginais déjà en larmes devant son reflet. Je poussais la porte, m'y enfermais et enlevais la capuche, avant de me planter devant le miroir. Mes joues portaient quelques tâches de sang, mais c'était surtout sur mes vêtements et mes mains qu'il y en avait le plus. Je portais mes mains devant mon visage, et toujours en souriant, je lui cédais la place.
Je me réveillais en face de mains ensanglantées. Mes mains. Encore, elle l'avait encore fait. Je l'avais encore fait. J'avais encore tué... Je suis un véritable monstre. Je rabaissais instantanément mes mains le long de mon corps avant de me nettoyer, frottant tellement fort que ma peau en devint rouge. Je remis ensuite ma capuche sur ma tête et sortis des toilettes, marchant au gré de mon instinct. Au loin, j'entendis un cri. Ils venaient de découvrir le corps. Je frissonnais et laissais mes larmes couler, avant de me mettre à courir. Je devais quitter cette ville le plus vite possible. Cette situation dure depuis deux ans. Deux ans de vie de nomade, de fuite et de peur.
Je suis née dans une banlieue mal fréquentée, en Italie. Ma mère, une prostituée, a accouché en plein milieu de la rue, sans aucune aide. Elle n'avait pas les moyens de se payer un hôpital digne de ce nom, elle avait déjà du mal à garder un appart' et un boulot plus d'un mois... Elle ne m'a pas voulu, mais lorsqu'elle a découvert qu'elle était enceinte, il était déjà trop tard pour avorter, et lorsqu'elle a accouché elle a eu pitié de moi. Alors elle m'a gardé, après tout je pourrais peut-être l'aider financièrement plus tard n'est-ce pas?Elle m'éleva à peu près normalement, même si je ne devais jamais l'attendre le soir, car parfois elle ne rentrait qu'à l'aube. Je suis très vite devenue autonome, apprenant à me faire à manger toute seule, à faire le ménage etc... Je n'allais pas à l'école, mais dans cette ville où tout le monde était très pauvre, nous passions inaperçus, les policiers n'ayant pas vraiment le temps de s'occuper de ce genre de choses.
Puis c'est à mes onze ans que tout bascula. Ce matin-là, je m'étais levé comme d'habitude, mais il y avait quelque chose d'inhabituel. Les chaussures de ma mère n'étaient pas devant l'entrée, ses vêtement n'étaient pas en vrac sur le canapé. Elle n'était pas rentrée. Je crus d'abord qu'un de ses clients l'avait proposé de rester, et que trop fatiguée pour refuser elle s'était endormie avec lui. Puis je me ressaisis : ici, il n'y avait pas ce genre d'hommes gentils et galants. Ca n'existait pas. Ce genre de personnes n'existaient que dans les conte. J'avais déjà grandis mentalement depuis longtemps, lorsque ma mère rentrait éreintée, habillée de petites tenues sexy, mais avec quelques centaines d'euros en poche. Je faisais ce que je pouvais pour l'aider, mais au fond je savais que je n'étais qu'un poids pour elle.
Je l'ai attendu pendant plusieurs jours, en vain. Elle ne rentrait pas. Elle m'avait abandonné. Les larmes se sont mises à couler sans que je m'en rendre compte, alors que je prenais la décision de partir et de me débrouiller toute seule. Je fis mon sac avec des provisions et des vêtements de rechange à l'intérieur, puis sortis dehors. Et me mis à marcher sans but. Mais alors que je tournais dans une ruelle sombre et très très peu fréquentée, je me figeais. Un corps était allongé là, sur le sol, baignant dans son sang. Et ce corps, je l'aurais reconnu entre mille. C'était celui de ma mère.
Ce n'était pas possible. Cela ne pouvait pas être elle. Pourquoi?Elle avait beau être une prostituée, lorsqu'on la connaissait un peu, elle était gentille. Pourquoi?Je m'approchais lentement du corps, me mettant à genoux à ses côtés, dans son sang. J'étais choquée, tellement choquée que je ne pouvais pleurer. Puis des mains se mirent sur ma bouche, étouffant ainsi mon cri. On me souffla à l'oreille :
« Elle avait des dettes, maintenant c'est à ton tour de les rembourser. »
Une vive douleur s'élança sur mon bras, alors que je voyais une aiguille plantée à l'intérieur. Je perdis immédiatement connaissance, m'inquiétant sur ce que j'allais devenir. Je me réveillais sur un canapé, les mains attachés derrière le dos. Tout était flou dans ma tête, et je voyais mal. Une ombre s'approcha de moi et s'assit à mes pieds.
« Ah, tu es réveillée!Tu as faim, soif ? »
Hein?Pourquoi il me proposait ça?Drôle de façon de s'occuper d'un otage... Je secoua simplement la tête, méfiante, et me redressa tant bien que mal. Je posais un regard froid sur l'homme, car à présent je voyais mieux. Il était brun et avait des yeux verts. Il souriait, mais déjà je savais que ce sourire était faux, fabriqué de toute pièce. Je reculais à l'autre bout du canapé et me recroquevillais.
« Qu'est-ce que vous me voulez ? »
J'avais peur. Le souvenir de ma mère morte me hantait. Je voulais la voir!Je voulais qu'elle me rassure... Je secouais la tête. Non, il ne fallait pas que je penses à elle. Pas maintenant. Sinon, je risquais de pleurer, et jamais je ne verserais une larme devant cet homme. Jamais. Plutôt mourir ! Il sourit, se leva et s'approcha de moi, toujours le sourire aux lèvres. Il m'en donnait des frissons.
« Ta mère nous devait beaucoup, Egle. Nous lui fournissions souvent de l'argent lorsqu'elle n'avait pas assez en fin de mois, ou quelle avait besoin de s'acheter des trucs pour son « travail »... Mais malheureusement elle est morte. Alors maintenant, c'est à toi de rembourser tout ça. Et pour ça... Tu deviendras notre nouvelle recrue. On manque d'effectifs en ce moment... Bien sûr, si tu refuses nous devrons employer quelques... Moyens... Plus radicaux. »
J'avais tout de suite compris où il voulait en venir. Non seulement il me tuerait, mais en plus il s'en prendrait à l'entourage que j'avais, aussi peu nombreux soit-il. J'avais peur ; il y avait de quoi non?Alors je hochais de nouveau la tête, sans un mot, mais mon regard devait en dire beaucoup plus. Je m'allongeais dans le canapé et fermais les yeux, pour faire comprendre à mon interlocuteur que la discussion était close et que le somnifère qu'il m'avait injecté faisait encore un peu effet. Je savais qu'il souriait toujours, je le sentais, et je me retenais d'hurler de peur. Ce fut le début d'une longue, très longue descente aux enfers.
Ils m'entraînèrent pendant un an. Tout y passa : gestion des armes, combats à mains nues... A chaque fois que j'eus un seul mouvement de rébellion, ils me rappelaient mon statut et le leurs, si bien que je me calmais toujours très vite. Mais ce n'était pas cet entraînement éprouvant qui me faisait peur, c'était ce qui allait se passer après. Oui, après, qu'est-ce que je ferais?Tout ça, ce n'était pas pour rien n'est-ce pas?Mais j'avais trop peur de confirmer mes pensées...
Et puis le jour de mon anniversaire, j'eus ma première « mission » qui consistait demander un remboursement immédiat à une personne qui avait beaucoup emprunté au gang. Ça semblait simple comme ça... Mais la somme était énorme!Jamais personne ne pourrait rembourser tout ça!Et je savais ce que je devais faire... Si il ne payait pas. Je le savais... Comme ma mère... Mais je devais le faire, j'y étais obligée... Alors j'y suis allée. Et je l'ai tué. Ses supplications hantent encore ma mémoire aujourd'hui, mais je ne peux plus rien faire maintenant. Je l'ai tué. Je l'ai tué... De mes propres mains. J'en ai vomis, juste après.
Une autre année passa, avec toute sorte de missions. Le sang coulait à flot sur mes mains souillées. Je ne le supportais plus. Tous ces corps qui tombaient par ma faute... Tout ce sang qui coulait sur les rues... Je n'en pouvais plus. Alors, elle finit par apparaître. Ma deuxième personnalité. Parce que je n'assumes pas mes actes, parce que je me fixais sur l'idée que ce ne pouvait pas être moi qui tuais ces personnes. Une autre moi dans le même corps, un autre monde presque. Elle, elle n'avait pas de pitié... Pas d'humanité... Elle avait juste été crée... Pour tuer.
Puis j'eus treize ans. Treize années de vie, et j'étais déjà brisée. Alors, je les trahis. Peut importe si ils tuaient mon entourage : de toute façon je n'en avais plus depuis longtemps!Je m'enfuis et me cacha, priant chaque jour pour qu'ils ne me retrouvent pas. Je vais de ville en ville, d'hôtels en hôtels. Et chaque fois qu'on m'énerve d'un peu trop, elle apparaît. Même après les avoir quitté, je fais encore couler le sang sur mes mains...
Puis il y eut ce rêve. Tout d'abord flou, il devenait de plus en plus précis au fil des mois. Je ne m'y intéressais pas trop, j'avais d'autres choses en tête. Puis un jour, il attira mon attention... Ce rêve... Il avait quelque chose de magique... Et c'est au moment où je le regardais vraiment que je fus emportée dans ce songe pour toujours.