Le voyage avait été calme, rythmé par les gargouillis incessants de la locomotive. Ce n'était pourtant pas la première fois que Nina prenait le train, pourtant il s'agissait d'une expérience unique. Elle était seule cette fois là, il n'y avait ni ses sœurs ou même un de ses parents. C'était un rendez-vous entre ce wagon rustique et elle, rien de plus. Elle n'avait pas compris pourquoi elle était montée dedans d'ailleurs. La gare était apparue à la place de son école, pourtant elle ne fut pas surprise. Quelque chose l'avait poussée à monter et à prendre cette place indiquée sur ce ticket grisâtre. D'ailleurs comment l'avait-elle eu ? Elle l’ignorait, cependant elle n'avait pas peur. Il s'agissait d'un rêve, c'était la seule explication plausible. Alors bientôt elle rejoindrait son lit, probablement. Alors il fallait attendre.

Sa petite tête reposait contre la vitre, admirant la fumée qui couvrait l'horizon. Elle ne savait pas où elle était, où elle allait, le Destin la contrôlait totalement. Le compartiment était vide et tout d'un coup elle se rendit compte que ce rêve était un peu trop réaliste. Le toucher de cuir était parfait et ce frisson qui la parcourait par la fraicheur du lieu était bien trop important, alors elle commença à paniquer.

Ses poings cognaient sur le verre , son regard effaré. Comment avait-elle pu être aussi idiote pour entrer dans ce train aussi louche. Venait-elle de se faire enlever ? Mais pourquoi ? Elle n'était pas jolie, elle n'était pas riche, il n'y avait aucune raison pour qu'on l'emmène loin de chez elle. Elle se calma, par désespoir. Elle allait mourir, se faire assassiner dans cette réplique du dix-neuvième siècles. Ses parents allaient pleurer sa disparition ses sœurs ressentiraient cette culpabilité de ne pas l'avoir surveillée ce matin là. C'était le pire scénario possible. Il était vrai qu'elle perdait un peu espoir à pouvoir être autre chose qu'un poids pour sa fratrie et qu'elle songeait de temps à autre à disparaître, mais de là à ce que cela réalise était autre chose. Elle ne voulait pas mourir, même si elle était idiote, qu'elle n'était pas capable d'aligner deux mots sans bafouiller, qu'elle avait peur quand une petite mouche passait dans son champ de vision, elle aimait malgré tout voir son amie sourire, écouter le même disque pour la centième fois. Elle voulait une deuxième chance, était-ce trop en demander ?

Soudain, un homme s'introduit dans le wagon et d'une lenteur digne d'un film d'horreur, les yeux noisette de l’estonienne roulèrent vers l'inconnu. Il n'avait pas l'air très imposant, il avait même l'air gentil à première vue, mais il ne fallait pas se fier aux apparences. C'était peut-être un pervers qui volait les sous-vêtements d'une jeune vierge pour ses fantasmes malsains. Il était magnifique de voir comment l'effroi pouvait vous faire délirer autant. Elle se recroquevilla sur son siège, espérant qu'il ne la verrait pas Vu comment elle l'avait fixée, il y avait peu de chance de réussite, mais elle s'accrochait à la moindre parcelle d'espoir. Mon dieu, qu'avait-elle fait pour mériter cela ? Etait-ce sa punition pour avoir pris un gâteau de plus dans la boîte à cookie ? Ou à moins que ce soit parce qu'elle n'avait pas entendue sa meilleure amie l'appeler ? Parce qu'elle était trop lâche ? Il y avait tant de raisons pour lui faire subir cette horreur... Elle ferma les yeux, espérant que tout ceci n'était qu'un mauvais cauchemar.

Elle resta en boule pendant quelques minutes, mais rien ne se passa. Quand elle releva les paupière, la fumée avait laissé place à un ciel bleu irradiant de toute sa splendeur. Elle roulait sur l'océan plus plane qu'une patinoire, le soleil se reflétant dans cette mare géant. Nina n'avait jamais rien vu d'aussi beau. Mais lorsqu'elle tourna la tête vers l'intérieur du train, elle se trouva nez à nez avec le garçon à la casquette . Elle sursauta, manquant de tomber de son siège. Elle avait le souffle court et ses joues virèrent au rouge. Que lui voulait-il à la fin ? Mais elle eut un éclair de génie. Elle sortit de sa poche de son manteau et elle le tendit timidement à l'inconnu. Elle avait dévié le regard, esquissant une légère moue d’embarras. Elle était stupide, vraiment. Pourquoi n'avait-elle pas songé un seul instant auparavant qu'il était le contrôleur de cette locomotive ? Elle était dans un train après tout. Elle avait honte d'elle, si elle pouvait alors elle creuserait un trou et s'y installerait pour cacher son humiliation. Elle voulait sincèrement rentrer chez elle et se coucher ...

J'avançais. Comme d'habitude, je mettais un pas devant l'autre sans savoir où est-ce que j'allais. J'avais rabattis ma capuche sur ma tête, et je m'étais trouvé une passion folle pour le sol goudronneux. Je ne savais plus trop si c'était un rêve ou la réalité- l'avais-je déjà su un jour?Bon sang, j'avais peur, tous les jours elle m'enserrait le cœur, l'âme, la gorge. Chaque jour j'avais peur qu'on me retrouve, qu'on m'ôte la vie. Mais là... C'était différent. Une peur différente. Elle m'apaisait et m'effrayait en même temps...

Mais qu'est-ce que je racontais encore comme bêtises ?! Allez, il fallait que j'avance, ou ils me rattraperaient. Je jetais un coup d’œil à mon sac à dos et frissonnais en repensant à ce qu'il y avait à l'intérieur. Elle venait... De se réveiller et... Mes vêtements... Recouvert de sang... Les larmes me montèrent aux yeux, alors que je m'engouffrais dans le train. Non, ne pas flancher, pas maintenant... Je m'écroulais sur la banquette en soupirant, ouvrit mon sac et grimaça. Tout ce sang... Que je devrais encore nettoyer à la main pour ne pas éveiller les soupçons...

Je me sentais vraiment lasse, et je fermais les yeux. J'avais besoin de recul... Il fallait que je me repose, un petit moment... Même si mon estomac criait famine, je tombais rapidement dans un sommeil sans rêves. Dans ma main se trouvait le billet légèrement grisâtre que je n'avais pas lâché depuis que je l'avais trouvé.

Une secousse me réveilla, et je me redressais sur mes jambes. Le train venait de s'arrêter. Soupirant, je descendis sur le quai, toujours mon billet en main. Mon cœur battait la chamade sans que je ne comprennes pourquoi, et au fur et à mesure que j'avançais, ma respiration s'accéléra. Puis une jeune homme apparut devant moi, et je me stoppais. J'avais retrouvé mon regard froid et j'étais de nouveau sur la défensive.

« Bonjour ... »

Puis, je lui tendis mon billet, fermement. Pourtant, au fond de moi, cet homme me faisait un peu peur et m'émerveillait en même temps, sans que je ne comprenne pourquoi. Peut-être parce que son sourire sonnait terriblement faux. Ou peut-être parce que sa posture elle-même faisait peur. Je ne le savais pas, et à vrai dire je m'en fichais. Je voulais simplement m'éloigner de lui.

« On ne sera plus seuls Baloo ! » murmura-t-elle, une fois dans le train, la voix tremblante la petite peluche entre ses mains qu’elle avait sorti de son sac.

Bien sûr, la peluche ne répondit pas, mais Céline la serra dans ses bras.  Il n’y avait personne dans cette locomotive mais ça la rassurait un peu, elle avait du mal avec les «  autres ». Elle le savait, ce train était venu les sauver, lui apprendre à être heureuse, peut-être l’emmènerait-elle dans un monde où tout le monde serait gentil…un peu comme les Bisounours ?

«  Ce serait super Baloo tu auras plein de copains nounours ! »  dit-elle tout sourire.

Baloo ne répondit que par son éternel sourire d’ours en peluche. Céline le remit dans son sac, il était sûrement épuisé. Elle aussi était un peu fatiguée alors elle se mit un peu mieux sur la banquette. La fumée du train recouvrait les vitres. Elle sentait son cœur battre d’un mélange d’angoisse et d’agitation heureuse, impatiente que le paysage réapparaisse enfin.

Elle voulut ouvrir la fenêtre mais c’était impossible jusqu’à tirer si fort que la poignée se cassa légèrement. Complètement paniquée à la fois car elle n‘arrivait pas à bien respirer dans un espace clos et aussi car à peine arrivée elle détruisait tout, elle voulut la remettre mais à chaque fois elle retombait.

Alors honteuse elle cacha la poignée derrière son dos avant de regarder ses chaussures les larmes aux yeux un bon moment.

«  Je vais encore faire tout rater ! » murmura-t-elle enfin.

Elle avait peur et si en fait ce train la ramenait « là bas » ? Si c’était un billet direct pour l’enfer blanc ? C’était étrange mais pas plus qu’un train qui apparait en pleine rue.

Elle prit en main son sac d’école. Car oui elle devait aller au collège, que diraient les professeurs si elle séchait ? Et son brevet ? Elle était stupide vraiment d’être montée dans ce train.  

* Il faut fuir Baloo!* s’affola la jeune adolescente.

Elle se leva et courut dans le couloir de la locomotive avant de s’arrêter pour réguler sa respiration, crise d’angoisse…Elle détestait ça. Elle prit un xanax dans son sac, une sorte de médicament anti-angoisses , puis elle ferma les yeux pour se concentrer  et surtout se calmer, seulement elle continua d’avancer et trébuchant sur quelqu’un l’entraîna dans sa chute.  

Elle grimaça, le sol du train était dur, sa jambe aurait un petit bleu demain. Elle s’intéressa alors à celui contre qui elle avait trébuché.

«  Pardon…. » éclata-t-elle en sanglots de peur même si sa peur était diminuée par le fait que ce bonhomme ressemblait plus à un contrôleur qu’à un médecin.

Dans sa main le ticket grisâtre…Cela promettait d’être un futur plein d’aventures….